Escapade Géorgienne (3/5)

Rendez-vous 11 heures, hôtel Marriot, avec Wladimir Socor, conseiller et spécialiste des questions énergétique pour le Caucase. C’est Liana Jervalidze, notre traductrice qui a organisé cette rencontre. Sur l’avenue Rustavelis, on passe devant l’Opéra. Un magnifique bâtiment, une déco orientalisante réalisée par un architecte allemand en 1896, après l’incendie du premier Opéra.

Puis sur la gauche, tout près du parc Alexandrovsky, se dresse, lourd et prétentieux, l’Hôtel Marriot. Ors, miroirs, divans, velours, musique d’ambiance et un petit brouhaha continu d’hommes d’affaires pressés et empesés. Bref le quotidien d’un grand hôtel. Guère emballant pour un entretien. Je propose à mon interlocuteur un banc sous les frondaisons du parc qui voisine l’Hôtel. Refus de Wladimir Socor. Il est occupé, revient de la veille de Bakou et aujourd’hui à Istambul se joue l’avenir du projet Nabucco. Alors la caméra est vite posée dans un des salons du Marriot. Wladimir Socor s’installe sur un fauteuil de velours et l’interview commence.

« …Des multitudes de facteurs façonnent la politique du Caucase. L'un d'entre eux: Le fait que la Russie tente de réaffirmer sa domination sur la région, en compétition avec l'occident. Second facteur: la maestria avec laquelle la Russie a exploité les conflits locaux, et ce de manière à conserver la marge de manoeuvre nécessaire pour peser sur la politique extérieure et intérieure du Caucase. Dans un certain sens, il est juste de dire que l'Arménie est l'avant-poste de la Russie dans le Caucase. Mais l'Arménie est également prisonnière de la Russie dans le sud Caucase. En effet, les gouvernements arméniens qui se succèdent espèrent que le soutien des Russes leur permettra de conserver leurs avancées territoriales, au détriment de l'Azerbaijan. Pour assurer ce soutien, l'Arménie a quasiment vendu toute son industrie aux russes, en particulier son secteur énergétique. Et puis bien sur, sans parler des liens entre les services secrets arméniens et russes. Tous ces facteurs sont importants. Peut être que l'Arménie pense qu'elle est entrain d'utiliser la Russie. C'est en fait le contraire. Et aussi longtemps que la dispute sur le Haut-Karabakh continuera, l'Arménie ne pourra faire partie des projets énergétiques de la région car l'Azerbaidjan et même la Turquie viendront toujours se mettre en travers. Et puis de l'autre côté, vous avez les conflits en Abkhazie et en Ossétie du Sud, brillamment orchestrés par Moscou avant la chute de l'Union Soviétique. A l'époque, en 1989-1990, les russes espéraient que ces deux conflits stopperaient la Géorgie dans ses désirs d'indépendance…

L'objectif stratégique de la Russie: cadenasser l'Asie Centrale, de manière à ce qu'il devienne impossible à l'Asie Centrale et à l'Azerbaijan d'avoir une sortie directe à l'ouest. En bloquant la route de transit, la Russie fait en sorte de que l'Asie Centrale, le bassin de la Caspienne dans son entier et l'Azerbaijan n'aient pas d'autre choix que d'exporter leur pétrole et leur gaz en passant par la Russie. C'est la raison pour laquelle les russes souhaitent interrompre la chaine d'approvisionnement du bassin de la Caspienne vers l'Europe via la Géorgie. Avec comme résultat une dépendance accrue des européens vis-à-vis des livraisons de gaz et de pétrole russe…

Evidemment, le sud Caucase est une région très amicale vis-à-vis des compagnies pétrolières internationales. Regardez l'Azerbaijan ou la Georgie par exemple. Dans les faits, l'Azerbaijan est un pays producteur et la Géorgie, un pays de transit. Ces deux états sont tout ce qu'il y a de plus amical vis-à-vis des compagnies pétrolières internationales. L'Azerbaijan n'a pas nationalisé ses ressources pétrolières, contrairement à la tendance globale. Personne n'y songe même dans le pays. Les compagnies occidentales sont propriétaires en plein du dépôt et des productions qu'elles extraient. Des zones qui sont donc bien intentionnées vis-à-vis des compagnies énergétiques occidentales. Mais c'est un cas particulier dans le monde d'aujourd'hui… »

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