Escapade Géorgienne (4/5)

Dimanche 14 heures, j’ai rendez vous avec madame Salomé Zourabichvili. Madame la ministre a quitté pour nous rencontrer, sa datcha dans les montagnes. Tous les week-ends d’été, Tbilissi se vide et tous partent se réfugier au frais dans les montagnes et près des lacs. Enfin ceux qui ont les moyens de se payer une datcha. Liana, notre traductrice a bien travaillé pour obtenir ce rendez vous. Je crois comprendre qu’elle est amie avec Salomé. D’ailleurs malgré sa disgrâce présidentielle Salomé est restée très populaire. Georgienne par la naissance, diplomate française de profession, Salomé Zourabichvili est nommée, sous le gouvernement Villepin, ambassadrice de France en Géorgie. Au cours d’une visite en France, Micha Saakachvili, le président géorgien, demande à Jacques Chirac le « prêt » de sa diplomate. Quelques mois après « la révolution des roses », Salomé Zourabichvili se retrouve, en mars 2004, nommée Ministre des Affaires étrangères de la Géorgie. Elle découvre un pays d’origine qu’elle n’a jamais vraiment connu. Son entrée au gouvernement ressemble rapidement à un vrai parcours du combattant, semé d’embûches et de déceptions. Après la période enjouée de la « révolution des Roses », le quotidien géorgien se révèle rempli de chausse-trappes politiques. Et la diplomate est rapidement virée sans ménagement par le président. Désormais à la tête d'un parti d'opposition, elle publie « La Tragédie géorgienne ». Moi, en ce dimanche d’été, je suis ravi et fier de rencontrer cette dame au si joli nom : Salomé. Avec Henry mon assistant nous terminons rapidement notre déjeuner dominical, à la terrasse d’un café, à l’ombre de la tonnelle et des vignes suspendues. Khatchapouri (pain ou pizza au fromage), Chachlik (brochette d’agneau marinée aux oignons et aux herbes) ; et Khinkali (cela pourrait ressembler à des raviolis). Bière glacée, vodka et café. Bien sur, pour dessert une tranche de pastèque juteuse et sucrée. La serveuse est avenante et enjouée, nous parlons par signes car elle refuse de converser en russe.

Un peu de sérieux, il est temps de partir à notre rendez vous, je me promets de revenir dîner ce soir et de reprendre ma conversation, même par signes. Je renonce à ma Niva, il est trop difficile de conduire dans la vieille ville. Les anciens quartiers de Tbilissi sont un véritable dédale de venelles pavées, bordées de maisonnettes à l'orientale aux vérandas et aux balcons de bois travaillé. Il règne une atmosphère bien particulière dans cette ville, qui n'est plus tout à fait européenne et pas encore complètement de l’Orient.

Au fond d’une impasse, derrière un portail de fer se cache la demeure de madame la ministre. Il fait chaud, très chaud, je suis en nage. Je ne suis que ruissellement, une vraie cascade. Ma chemise est détrempée sous ma jaquette noire, ma cravate est bien trop serrée. J’ai peur de faire piteuse figure au près de la dame, mais il est trop tard. Le mari de Salomé, ancien journaliste politique vedette de radio et de télévision, nous introduit dans la salle à manger. La maison est fraiche et l’ambiance chaleureuse. Le décor est simple, mais il semble que chaque tableau, meuble ait été choisi avec goût. Gentiment, Salomé nous propose serviettes et verres d’eau pour nous rafraîchir. Elle est élégante dans son tailleur rose pale. Mais ce qui me frappe de suite, ce sont ses yeux.

Deux yeux bleus qui virent au gris pour accompagner la force de certains mots. Il est difficile de détacher le regard de ses yeux. Alors, je ne le détache pas. Salomé s’installe dans un fauteuil du salon et attend patiemment ma première question. Je suis comme intimidé par ce mélange de beauté et de force.

« … La présence russe en Ossétie et en Abkhazie représente t-elle une menace pour le BTC ? Oui et non. Oui parce que de facto avec cette présence russe consolidée, la Russie a un levier extrêmement important sur la politique géorgienne et politique énergétique. Un fait que l’on ne signale pas toujours, c’est que pendant la guerre du mois d’août, la Russie a certes bombardé, mais bombardé autour du BTC. Pour bien montrer qu’elle connaissait l’emplacement. Mais elle ne l’a pas touché ce qui aurait été catastrophique pour la Géorgie comme pays de transit énergétique…

BP n’est pas intervenue directement dans la politique géorgienne. Le consortium reste très neutre. Y compris quand il s’agirait de défendre la Géorgie face aux visées de la Russie. Il y a un levier russe qui devient de plus en plus puissant. Cela étant, c’est vrai jusqu’au moment où quelqu’un s’en prendrait au BTC. Dans la mesure ou le BTC est respecté et n’a pas fait l’objet d’attaques terroristes comme on aurait pu craindre un moment donné, ni comme je viens le dire de la Russie, sauf par quelques mesures très indirectes pour montrer qu’elle aurait pu, mais elle ne l’a pas fait. Donc de ce point de vue là les grandes compagnies sont restées en arrière de la main. Y compris dans ce qu’elles auraient pu faire de plus positif, qui aurait été un rôle social plus important. Qui en réalité est resté lui aussi très limité, très limité et en accord avec les autorités. C’est à dire que jamais les compagnies pétrolières n’ont pris le devant de la scène…
 
La Russie pour le moment n’a pas à être trop inquiète. Elle s’est opposée farouchement au BTC, avant sa construction il y a eut toute une période sous Shervenadzé ou la Russie a essayé très activement d’empêcher le projet d’aller au bout… Mais la Russie est très pragmatique dans ces affaires là, quand elle ne peut plus s’opposer, elle essaye d’entrer. Elle a pratiqué dans le BTC une stratégie d’entrisme. La Russie ne perdra pas complètement le contrôle de ce transit énergétique à travers la Géorgie… »

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