Rule, Britannia (3/3)

Irlande, 18 juin 2009 - Colin Campbell


Comme la CIA, très inquiète d'une possible disparition du pétrole, nous avons retrouvé l'expert mondial du "oil peak", le géologue Colin Campbell. Sur la N71, à quelques 70 kilomètres de l’aéroport de Cork, le petit village irlandais de Ballydehod. La vraie célébrité du village est un ancien champion du monde lutte, Dannon Mahony, surnommé "The Irish Whip", le fouet irlandais, dont la statue de bronze orne "Main Street".

Au milieu des pubs et des maisons colorées du village, Colin, « le prédicateur de la fin », goûte une tranquille retraite. Assis sur son banc, il peut admirer les îles du Fasnet qui se découpent sur la mer tourmentée.


 Mais depuis quelques temps la retraite de Colin est régulièrement troublée. Demandes de rendez vous, journalistes, hommes politiques, tout le monde veut le rencontrer. Les invitations pour des conférences s’empilent sur son bureau. L’oiseau de mauvais augure, le disciple de King Hubbert est pris au sérieux aujourd’hui. Géologue de formation, il a passé sa vie à forer, à chercher le pétrole, lui qui enfant se rêvait chercheur d’or. Tout a commencé à Bornéo : «J'y ai vu mon premier puits, j'ai plongé dans l'aventure.» Son tour du monde du pétrole commence. Trinidad à la demande de Texaco. Suit la Colombie pour British Petroleum. Il est passé à peu près par toutes les firmes, de la Nouvelle-Guinée aux Etats-Unis, de l'Equateur à la Norvège. Le vieil homme connait son sujet. En 2001, il crée l'Association for the Study of Peak Oil and Gaz (Aspo). La popularité de son site Internet suit la courbe de la flambée du brut : plusieurs centaines de millier de pages lues le mois dernier.


L’interview a lieu dans son bureau au milieu d’un fatras sympathique de livres, de notes, de cartes, de peintures d’artistes, (je crois que la plupart sont de son épouse). Comme notre ami géologue parle beaucoup, nous avons fini l’interview au pub.


Outre son immense savoir sur la chose pétrolière, Colin nous a fait découvrir la Murphy's, une bière locale qui vaut toutes les Guiness. Nous l'avons surtout savouré au Levi's Bar, tenue par la charmante Nell. Après quelques pintes à la couleur noir pétrole, Colin nous dit ces quelques mots délicieux d’évidences :

« Au fond, les barils de pétrole sur terre, c'est comme un fût de bière dans un pub. Plus on le boit vite, moins il y en aura pour longtemps...»


Extraits de l’entretien :

« Au début, personne n'a aimé le message. La raison? Tout cela allait contre les tendances et les mentalités de l'époque. On était censé résoudre les problèmes, découvrir plus de pétrole, donner plus d'ampleur à l'industrie, accroître les perspectives et les rendements...Toute personne qui parlait de limite ou de déclin allait contre le sentiment général. Beaucoup de choses restaient encore possible à cette époque. Mais avec le temps, les prédictions d'Hubert se sont révélées vraies. 

Pourquoi King Hubert n'a pas été pris au sérieux à l'époque? A mon sens, ses analyses allaient contre l'état d'esprit général de l'industrie, des investisseurs et du public en général. Tous étaient convaincus que nous avions atteint une ère d'abondance, et que si nous étions en mesure de produire plus de pétrole demain, il en serait de même dans le futur. Déclin et limite: deux termes qui n'étaient pas vraiment bienvenus à l'époque. Les choses n'ont pas beaucoup changé aujourd'hui.

Une période analogue à celle du pic pétrolier…

… L'Eglise des premiers temps avait la conviction que la terre était au centre de l'univers, etc. cela a été un choc assez désagréable d'admettre que nous n'étions qu'une planète qui tournait autour du soleil. Ils n'appréciaient pas une telle vision du monde. Aujourd'hui, on pourrait dire la même chose de toute la communauté économique. L'état d'esprit général serait plutôt que les choses vont s'améliorer dans le futur, plus d'argent et plus de prospérité. Et il est assez clair que cela ne va pas être le cas...

…Je prédis la fin du monde. Certaines personnes me voient comme un oiseau de mauvais augure. D'une certaine manière, c'est vrai. J'ai réalisé il y a peu que le monde est à court de pétrole…

… Oui, la notion de pic implique un déclin. Le travail des dirigeants des compagnies pétrolières, n’est pas de couler le marché, mais de rapporter de l'argent aux actionnaires. Ce n'est pas leur travail de se préoccuper du sort de l'humanité ou du monde en général. Ce n'est pas leur travail. Ils essaient de faire des profits pour leurs actionnaires, et de la manière dont les choses se font aujourd'hui, tout cela doit se jouer en bourse. Dans le contexte, il est indispensable de dire des choses positives à propos des majors comme de l'industrie en général. Imaginez l'un d'entre eux dire: “Pardon messieurs, nous allons mettre la clé sous la porte d'ici 20 ans”. Mauvais message en terme d'image…

… Je vais vous raconter une histoire amusante. L'invasion de l'Irak, quand était-ce? 2003? Environ 6 mois avant l'invasion, j'ai reçu un coup de téléphone du bureau des informations navales américain dans mon bureau de Londres. “Nous avons organisé une réunion au Département de la Défense à Washington. La question de l'approvisionnement en pétrole nous inquiète beaucoup, nous voudrions vous rencontrer” m'ont-ils dit. A l'époque, je devais subir une opération à l'hôpital, je ne pouvais donc pas partir. J'ai donc répondu : “Désolé, je ne peux pas”. Et nous en sommes restés là. Trois semaine après l'invasion de l'Irak, le même homme me rappelle et me dit : “Nous organisons la réunion la plus importante, à laquelle Mr Rumsfeld et tout le Département de la Défense assisteront. Nous insistons pour que vous y soyez.” Comme cela. J'étais de toutes façons tellement écoeuré par cette invasion stupide que je leur ai répondu quelque chose d'assez bête : “ Merci pour votre invitation, mais pour être honnête, je suis tellement écoeuré par la politique des USA qu'en aucun cas je ne me rendrais dans votre pays. Environ 6 semaines plus tard, le téléphone sonne encore et j'entends une voix me dire: “Dick Heins, ici le bureau américain de l'information navale.” “Comment allez-vous” ai-je répondu. “Nous voudrions vraiment vous rencontrer” a-t-il ajouté. “Avec plaisir mais je vis dans un petit village de l'ouest de l'Irlande” ai-je répondu. “Oui, nous le savons. Nous vous appelons de la cabine téléphonique près du bar sur le chemin de la colline” m'ont-il dit. Un vrai film hollywoodien, cette histoire. Bref, je me rends à la cabine, et là, personne. Je regarde autour, toujours personne. Finalement, j'aperçois le personnage hollywoodien dans l'embrasure de la porte, chapeau, lunettes noires et imperméable sous le bras, comme je vous le décris. Je vais vers lui et lui demande: “vous me cherchez”? “Non” me répond-t-il, mais eux, là, dans le magasin d'en face, oui. Je me dirige donc vers la petite boutique de produits électrique en bas de la rue, je peux vous la montrer, et j'y trouve un homme et deux femmes: “salut, salut, salut” me dit l'homme. Amical. “Nous étions entrain de passer des vacances en Irlande et nous avons aperçu Ballydehod sur la carte. Alors nous nous sommes dit que nous pourrions passer.” “Je peux vous offrir à boire?” continue-t-il. “Bien sûr” ai-je répondu. Et nous sommes partis vers le pub du bout de la rue, avec l'homme des services secrets qui nous suivait à 50 yards. Nous arrivons là-bas et je leur dit:” alors, où passez vous vos vacances en Irlande?”. Il a eu l'air embarrassé et m'a répondu ; “Oh vous savez, nous nous baladons. Bref, nous avons bu un verre ou deux, tout cela était assez amical puis je lui ai dit: “allez, venez, je vais vous montrer quelques données”. “Oh non, nous devons y aller” m'a t-il répondu. Et ils ont refusé de rentrer chez moi, probablement parce que c'est contre les règles de la CIA de pénétrer dans la maison des victimes. La partie la plus intéressante reste le moment où j'ai reçu une grosse enveloppe, quelques mois plus tard. Pas de lettre, rien, juste le rapport du Pentagone expliquant ce que les forces armées américaines avaient l'intention de faire dans le futur avec le pétrole. Je suppose que cela m'avait été envoyé de manière non officielle. Mais cela reste un moment étrange…


… Le pic pétrolier est devenu un vrai sujet. Je crois que les gouvernements commencent à le comprendre. Aucun ne sait vraiment comment réagir, aucun n'a vraiment envie d'admettre le problème mais tous sont plus ou moins conscients. Les conséquences dépendront du comportement des gouvernements. Les USA sont les plus vulnérables aujourd'hui. Ce sont les plus gros consommateurs de pétrole au monde; leur production propre a atteint son pic dans les années 70 et commence à décliner, ce qu'ils admettent. Voulant dire qu'ils dépendent plus que jamais du pétrole importé de l'extérieur. Et si vous jetez un œil aux rapports établis pas les différents think tanks de Washington et autres à la fin de la guerre froide, vous réalisez que tous les plans pour le futur des USA ne reposent que sur l'or du pétrole. A mon sens, verrouiller l'accès du pétrole du Moyen Orient faisait partie de la stratégie. Les Américains espéraient que les états pétroliers finiraient par tomber et qu'ils pourraient reprendre le contrôle des gisements. Je me souviens de l'interview télévisée du président Bush sur la BBC juste avant noël. On lui demandait d'expliquer les raisons de l'invasion de l'Irak. Ses mots, dans le texte: “Notre approvisionnement énergétique courait un risque.” Il a donc admis à demi-mots que derrière l'invasion de l'Irak, il y avait aussi des enjeux pétroliers et l'ambition de contrôler le pétrole du Moyen Orient. Même chose à propos du conflit actuel avec l'Iran. Ces derniers contrôlent le Golfe dont partent toutes les exportations. Et puis franchement, pourquoi est ce que les USA ou n'importe qui d'autre se préoccupent de la politique Iranienne, si le pays ne représente pas une forme de menace qu'il leur faut contrer?...

… Dans l'absolu, je crois que tout cela est vrai. Les guerres énergétiques menacent de se multiplier. On a vu la guerre d'Iran, et la guerre d'Afghanistan a déjà duré plus longtemps que la deuxième guerre mondiale. La raison de ces conflits? Le pétrole et le gaz…

… Oui, aucun doute qu'avec le déclin du pétrole, des pays comme la Chine, les USA et d'une manière moindre l'Europe, vont mettre beaucoup de pression sur les états producteurs - essentiellement le Moyen Orient. Il existe un principe économique qui s'appelle le Flux de Trésorerie (Discounted cash flow) selon lequel les bénéfices de demain seront moindre que les bénéfices d'aujourd'hui. Comme tous le autres, les compagnies pétrolières travaillent sur ce principe économique selon lequel vous pouvez gagner beaucoup d'argent rapidement. Comme les autres, les compagnies pétrolières sont basées sur la structure financière actuelle. Leur job est de faire de l'argent, rien de plus. Ils ne sont pas chargés de travailler pour le futur de l'humanité ou de toutes ces choses qui n'ont pas grand chose à voir avec leurs affaires. Ils sont là pour faire de l'argent. Et dans l'économie pétrolière, on parle de beaucoup d'argent !... »

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