Rule, Britannia (2/3)

Surrey, 16 juin 2009 - Geoffrey Chandler

8 heures du matin, Victoria Station et le train pour Dorking. Un trajet de trois quarts d’heure. Madame Chandler est venue nous chercher à la gare. En voiture pour une ballade à travers la campagne anglaise. La région est vraiment « so charming ». La route tortille, serpente sous les arbres. Une magnifique journée de printemps. Le village de Newdigate est passé. Au fond d’une allée, invisible de la route, posé sur une pelouse parfaite, un gentil cottage nous invite. Fleurs, oiseaux, un coin de paradis. Un grand chien dégingandé fête notre arrivée. Devant la porte de la jolie maisonnée, monsieur Geoffrey Chandler nous attend.



Un vieil homme grand et sec, une allure distinguée, altière. Présentations sympathiques malgré une légère réserve. Monsieur Chandler nous a fait part lors de son dernier mail de son inquiétude. Ne serions nous pas un peu trop engagés. Le titre de notre enquête, « Le secret des sept sœurs », ne montrerait-il pas une certaine approche des compagnies pétrolières ? Je vous cite le mail reçu : « I note the working title. As a one-time journalist myself I am aware of the need for sex appeal in a title, but it does suggest that the approach will not be unbiased. I hope I am wrong ».

Monsieur Chandler est un personnage. Héros de la deuxième guerre mondiale, il sert en Grèce, comme officier dans les services secrets de sa majesté. Puis il commence sa carrière civile comme journaliste au vénérable  « Financial Time ». Ensuite pendant vingt deux ans il œuvre chez Shell, pour en devenir directeur général du bureau national de développement économique. Et, enfin, l’âge venu et peut-être une certaine sagesse, il rejoint Amnesty International. Là, il crée le groupe Amnesty UK Business, dont l'objet est d'amener les sociétés commerciales à soutenir les Droit de l'Homme. C’est une de ses phrases, écrite dans un rapport, qui me donne l’envie de le rencontrer : « Human rights is not the business of business » (Les droits humains ne sont pas l’affaire des milieux d’affaires).

Pendant longtemps, la formule a servi de bonne conscience aux compagnies pétrolières, établies dans le tiers-monde. Les entreprises en question n’étaient « pas là pour faire de la politique », elles étaient « neutres » et leur présence « favorisait le développement et la démocratie ». Souvent démenties par les faits, ces formules péremptoires n’ont pas disparu de l’argumentaire des pétroliers. Beaucoup s’en servent encore. Mais elles sont de plus en plus contestées.

Il est temps de commencer l’interview. Je préfère poser la caméra dans le magnifique jardin, avec l’élégant cottage comme fond. Monsieur Chandler s’assoit sur un banc et son chien se couche à ses pieds. L’interview se déroule sans anicroche. Notre interlocuteur ne se dérobe à aucune question, mais je le trouve, comment dire, très légaliste. Du fait de son travail à Amnesty, je l’imaginais plus vindicatif envers les compagnies pétrolières. En fait, je comprend qu’il est là pour leur donner une conscience. Intéressant ! Geoffrey, un peu sur la réserve au départ, se révèle un hôte charmant. Nous sommes invités à déjeuner sous la véranda. Une grange gentiment restaurée. Viande froides, mayonnaise et salades. Deux bières et un pot de café. Une ambiance cosy, une conversation cool. Nous apprenons l’amour du couple Chandler pour la France, où vit l'une de ses filles. Et Geoffrey nous parle de sa passion pour les classiques du cinéma français. Je promets de leur envoyer "Les Enfants du Paradis" de Carné. Je ne l’ai pas encore fait, il va falloir que je me bouge. Il nous reste à rejoindre la gare de campagne, et à prendre le train pour Londres, puis Paris. Enfin bref, une agréable rencontre et une belle journée.



Extraits de l’entretien :

«… La plupart du pétrole mondial se trouve dans des zones très risquées; la plupart du pétrole provient de zones dominées par la dictature. Dans ce contexte, je suis convaincu que les compagnies pétrolières, pour peu qu'on les persuade, peuvent jouer un rôle positif. Evidemment, en étant peu populaires, elles prennent le risque de ne pas se faire apprécier des gouvernements. Mais avoir des valeurs a un prix.

Les problèmes s'accumulent. La corruption a toujours cours et les droits de l'homme continuent d'être violés. Une tendance à laquelle on tente de mettre fin de deux manières…

… Tout d'abord, les organisations non gouvernementales proposent de mettre en place une mesure obligeant les compagnies pétrolières à publier tout ce qu'elles payent. Ainsi, toute major versant de l'argent à un gouvernement ouest africain en échange de la concession de ses puits off-shore serait contrainte de le publier. Et si ce gouvernement est une dictature, une telle pratique permet à son peuple de connaître le montant dont l'état dispose. Et ainsi de comprendre si cet argent est gardé sur un compte en Suisse, utilisé pour acheter des armes ou redistribué à la population.

La seconde initiative, impulsée par le gouvernement britannique et reprise par beaucoup d'autres, a été appelée Extractive Industry Transparency Initiative (Initiative pour la transparence dans l'industrie extractive). Le principe est identique et demande tant aux états qu'aux compagnies pétrolières de publier leurs reçus. De cette manière, la population des pays concernés est en mesure de savoir si leurs gouvernements sont corrompus ou pas…



… J'ai vu des désastres, j'ai vu des drames en terme de réputation. Des compagnies comme Shell ou BP ont vu leur image s'écorner, car pour le grand public, l'une et l'autre violaient les droits de l'homme. Elles se sont fait prendre dans des évènements auxquels elles n'étaient pas préparées et ont dû affronter des défis qu'elles n'avaient pas pu prévoir, qu'elles ne savaient pas comment affronter. Je vais prendre l'exemple de Shell au Nigeria au début des années 70. Je n'y étais pas, mais je connais l'affaire, car j'ai travaillé pour Amnesty. C'était un endroit dangereux pour qui y travaillait. Et les compagnies ne pouvaient pas disposer de troupes armées. C'est pourquoi elles ont fait appel aux troupes gouvernementales. Celles-ci ont massacré beaucoup de gens. Une grande leçon. De telles choses ne pourraient ou ne devraient plus avoir lieu aujourd'hui. Bien sur, on se souvient de la dictature Abacha qui a assassiné Ken Saro Wiwa et 8 autres Ogonies en 1995. Shell a attendu le dernier moment pour protester mais je voudrais dire deux choses. Je ne crois pas du tout que Shell soit coupable de meurtre d'un point de vue légal : par contre, je crois qu'une société qui reste silencieuse face à des actes contraires aux droits de l'homme est une société moralement complice…

… Les compagnies pétrolières sont là pour produire le pétrole qu'elles extraient à travers le monde. Je crois qu'il ne serait pas bon que l'une d'entre elles interfère dans la politique intérieure d'un état. Pourtant, on découvre souvent le pétrole dans des états faillis, ou dominés par de brutales dictatures. Maintenant, les compagnies pétrolières ne sont pas là pour renverser les dictatures. Ceci concerne le peuple, une fois encore. Ainsi, penser que Shell, BP ou Total pourraient se débarrasser d'un dictateur relève du pur fantasme. Vous et moi pouvons le souhaiter mais... Ce ne serait pas juste... Si vous vous débarrassez d'un dictateur, vous utilisez l'arme économique à des fins politiques. Dans ce cas là, pourquoi ne pas changer la démocratie? Cela reviendrait à enfreindre un principe fondamental.

Les gens sont dans le faux s'ils cherchent un complot. Le pétrole est beaucoup trop contrôlé et important. Clémenceau a dit de la guerre qu'elle était une chose trop sérieuse pour la confier à des militaires. Je crois que l'on peut dire du pétrole que c'est chose trop cruciale pour être confiée aux pétroliers...

… Les compagnies pétrolières sont des animaux économiques. Leurs décisions sont prises sur des critères économiques. Investir dans des projets les menant à la banqueroute serait stérile, pour elles même comme pour la société.

Physiquement, le pétrole ne disparaîtra jamais. Il existe plus de pétrole en sous-sol qu'on ne pourra jamais en extraire. Nous allons continuer à en produire de plus en plus, au fur et à mesure que les prix vont monter et que la technologie va progresser. Le pétrole est là, il sera donc utilisé de façon plus sélective et ce à des fins plus spécifiques que le fuel. Je pense que nous sommes à la fin de l'ère du pétrole à bas prix. Les réserves de pétrole peu cher ont déjà été exploitées ou le sont actuellement…».



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